IL FAUT L’ENTENDRE : LE SALARIAT N’A PLUS LA COTE !
Contribution à la réflexion sur le programme de l’AU.
Une étude réalisée par l’IFOP du 31 août au 7 septembre dernier – portant sur " les jeunes et l’emploi " - révèle un mouvement profond qui ne devrait pas laisser indifférents celles et ceux qui travaillent à la construction d’une alternative unitaire au libéralisme ; à la question : " si vous aviez le choix, auriez-vous plutôt envie d’être … votre propre patron ? fonctionnaire ? salarié du privé ? ", 46% des 15-30 ans répondent : " votre propre patron " (33% en février 2005). Si ces résultats sont éloquents concernant le rejet du salariat par la jeune génération, la comparaison avec 2005 révèle une accélération du mouvement à laquelle la mobilisation anti-CPE du printemps dernier n’est sûrement pas étrangère.
Rejet du salariat, qui touche aussi bien l’emploi public que l’emploi privé, puisqu’entre février 2005 et septembre 2006, ceux qui se verraient bien " fonctionnaires " passent de 24 à 20% quand ceux optant pour la perspective du " privé " passent de 43 à 34%. Notons que dans cette dernière catégorie (le " privé "), la seule sous-partie qui progresse (de 3 à 5%) concerne celles et ceux qui se verraient bien travailler pour une " association " ; ce qui donne un renseignement qualitatif sur leurs motivations, que j’interprète pour ma part comme la recherche d’une activité " socialement utile " qui ne soit pas soumise à des impératifs de rendement financier à court terme.
Que la jeune génération reprenne à son compte – bien que n’en étant généralement pas instruite – la critique marxienne de l’aliénation salariale me semble bigrement intéressant pour qui ne perd pas de vue que le salariat, qui fait de la force de travail une marchandise, est au principe du capitalisme … A condition de ne pas laisser le MEDEF et ses supplétifs capter cette aspiration en rebaptisant tout ce beau monde " entrepreneur ", à l’instar des maîtres du CAC40. (Être " son propre patron " et être " patron ", ce n’est pas la même chose !) Donc, comment répondons-nous à cette aspiration ?
Je pense qu’un anti-libéralisme conséquent se doit d’affirmer que "le travail n’est pas une marchandise" : il est la qualité spécifique de toute activité humaine par laquelle chacun(e) se construit soi-même en construisant le monde qui l’environne ; le travail est le principe de l’hominisation, il n’est donc pas d’émancipation des personnes qui ne passe par l’objectif de redonner à chacun(e) la pleine maîtrise de son activité et donc de son propre développement. Ce que le salariat ne permet pas, par nature – puisque celui qui achète de la force de travail à déjà décidé ce qu’il allait en faire, indépendamment de la volonté de celui qui la (se) vend. C’est donc nécessairement à son "dépassement" qu’il faut s’atteler.
Si la proposition du PCF de Sécurité Emploi-Formation (SEF) – qui inspire largement le texte de l’AU - constitue un effort notable pour dégager le travail humain de la logique marchande, je ne pense pas que l’on puisse, comme le font ses promoteurs, parler de dépassement du salariat, puisque chaque travailleur y demeure soumis à la nécessité de se trouver un employeur.
Or, poser politiquement la question de l’éradication du chômage en régime capitaliste implique de poser celle du monopole du capital sur la " sélection " des activités humaines dignes d’intérêt en fonction d’un critère unique : " les actionnaires veulent tant (20-25% aujourd’hui pour les fonds d’investissement … combien demain ?)", en conséquence de quoi, toutes les activités qui ne permettent pas d’espérer de tels rendements seraient obsolètes, indépendamment de leur utilité sociale. C’est bien là l’origine structurelle de l’accroissement du chômage mondial à laquelle la SEF ne change rien – sauf à envisager l’alternative au libéralisme comme un " néo-étatisme " qui ne saurait, d’ailleurs, résoudre le problème de l’aliénation !
Il faut se rendre à l’évidence : nous sommes arrivés à ce moment où le mode de production salarial-capitaliste est devenu une entrave au développement humain et aucun retour en arrière n’est possible. Un antilibéralisme conséquent appelle l’engagement immédiat du travail de dépassement du salariat tel que nous le connaissons, que l’employeur soit public ou privé.
Comment faire ? Certainement pas faire du salariat – fût-il " sécurisé " - la seule perspective d’une génération qui n’en veut pas : toutes proportions gardées, il ne me souvient pas que, partant à l’assaut de l’Ancien régime, les serfs se soient, en 1789, enthousiasmés pour une " sécurisation du travail servile " … les prolétaires du 21ème siècle n’ont pas moins d’ambition, et c’est tant mieux !
Il est pour le moins paradoxal, dans un tel contexte, que le PCF – qui se pose en exécuteur testamentaire de Marx – éprouve autant de difficultés à s’émanciper du modèle salarial (quoique, si l’on se réfère à la sociologie de ses directions, le paradoxe n’est qu’apparent …).
Quoi qu’il en soit, Marx définissait le communisme comme " la libre association des travailleurs ", " société où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous ". Je le rejoins et je soutiens que la " libre association " implique nécessairement la " liberté de ne s’associer que si on le décide ". Il me semble que cette étude ne dit pas autre chose : l’aspiration au communisme est là, dans le refus qu’exprime ces jeunes de laisser enfermer leur travail dans une camisole salariale où ils perdront nécessairement la maîtrise de leur propre développement, dans ce " mouvement réel qui critique l’état actuel " où la seule alternative qui s’impose à eux est le chômage ou l’aliénation salariale.
Je pense donc que nous aurions intérêt – en appui au statut du salariat – à établir un " statut du travail indépendant et de l’exploitation familiale ". Car entre l’alternative chômage/salariat et l’alternative salariat/travail indépendant, la dialectique n’est pas la même : dans le premier cas, le capital est en situation hégémonique, dans le second cette hégémonie lui est contestée à partir d’un critère qui n’est plus le rendement financier mais l’efficacité sociale – ou " valeur d’usage ".
Il ne s’agit pas de décréter " l’abolition du salariat ", mais d’initier une dynamique sociale tendue vers son dépassement effectif. D’autant que la révolution informationnelle, dont Internet est la figure de proue, ouvre à la " libre association des travailleurs " des territoires inexplorés – des utopies – qui ne demandent qu’à devenir des lieux-communs. La condition concrète de ceux qui demeureraient salariés aurait tout à y gagner.
Alors concrètement, je propose de transférer au " travail indépendant " les sommes actuellement octroyées aux employeurs sur les bas salaires : maintien du RMI à concurrence du SMIC (avec les sommes allouées au RMA), exonération de cotisations sociales jusqu’à 1,5 SMIC et mise en place d’un barème de cotisation progressif, prenant en compte le chiffre d’affaire mensuel, financées par le transfert des exonérations de cotisations sur les bas salaires pour les entreprises - qui s’élèvent en 2005 à 22,2 milliards d’Euros (l’équivalent de 1,2 millions de SMIC annuels), etc … Le titre de cette partie deviendrait " sécuriser le travail ".
Le NON majoritaire du 29 mai avait 2 caractéristiques : " NON de gauche " et " NON de classe ". Le succès de l’AU en 2007 dépendra de notre capacité à renouveler cette convergence " de classe " sur un projet politique.
Quelles sont les " catégories sociales " qui ont majoritairement voté NON le 29 mai ? Les chômeurs (75%), les ouvriers et les agriculteurs (70%), les employés (63%), les travailleurs indépendants (58%), les " professions intermédiaires " (54%), on peut également spéculer sur ce qu’aurait été le vote des étudiants (46% de NON) si le mouvement anti-CPE avait eu lieu avant le référendum … Je pense que nous avons-là " l’arc sociologique " que l’AU devra rassembler majoritairement si nous voulons gagner en 2007 et que la proposition que je formule est de nature à permettre à tous ceux-là de se reconnaître une communauté de destin dans la diversité de leurs pratiques, à condition de la situer explicitement dans la perspective de dégager le travail humain des critères que lui impose le capital financier.